Colloque de Rails et histoire du 14 novembre : Hubert HAENEL, acteur décisif du succès de la régionalisation des transports ferroviaires
Contribution de l’Institut d’histoire sociale des cheminots CGT.
Pierre Delanoue.
L’objectif de cette contribution est de montrer la position constante de la CGT depuis des décennies par rapport à la régionalisation, et je vais le faire chronologiquement.
En partant de 1984, où la Fédération CGT des cheminots publie « le contrat social de développement » consacrant un chapitre entier au thème de la région considérée comme un atout majeur. En posant notamment la question des objectifs attendus et celle des structures pour les mettre en œuvre ;
Sur les objectifs, il est question de mettre en œuvre le droit aux transports pour tous instauré par la LOTI, la SNCF devant être en prise directe sur la vie économique et sociale régionale, attentive aux grands courants d’échanges tant marchandises que voyageurs ; une SNCF décentralisée, régionalisée, une SNCF apte à motiver son personnel ;
La Fédération CGT propose de favoriser le décloisonnement entre fonctions, entre établissements, elle appelle à mettre en place des structures plus horizontales, à revaloriser le rôle des chefs d’établissement, à enrichir le rôle et les attributions de l’état-major régional interfonctionnel favorisant leur capacité de négociations avec les collectivités territoriales ;
Pour la CGT, « la région administrative est un lieu de cohérence politique, économique, sociale et culturelle où les questions de coordination, complémentarité, d’aménagement du territoire, de développement urbain et industriel, de sécurité, d’énergie, de cadre de vie, peuvent trouver leur expression. C’est également un échelon pertinent d’intervention du personnel, des organisations syndicales et des usagers ».
Dix ans plus tard, le 24 février 1994, la Fédération CGT est reçue par le sénateur HAENEL dans le cadre de la mission qui vient de lui être confiée par le ministre des Transports, Bernard Bosson ; le contexte a bien changé, et la délégation de la Fédération attire l’attention du sénateur sur les dérives des contrats de plan plaçant la SNCF « dans un cadre purement concurrentiel et essentiellement commercial » ; pour la CGT, il y a « urgence à déterminer une autre orientation politique et financière ».
Lors de cette rencontre, la CGT formule plusieurs remarques :
- Nécessité de conserver et développer l’unicité du réseau afin de répondre aux exigences d’aménagement du territoire.
- Revoir l’équation financière au regard du déficit des SRV (services régionaux de voyageurs).
- Inscrire les SRV dans leur interaction avec le réseau ferré national.
- Ne pas négliger le transport marchandises par fer.
- Nécessité de maintenir l’égalité d’accès et de traitement en tout point du territoire.
La CGT interroge sur deux points :
- La pérennité du système intégré avec la régionalisation envisagée.
- La question essentielle du statut des personnels, indissociable de la qualité du service public ; une ligne rouge pour la CGT : pas de statut régional.
À l’issue de cette rencontre, la CGT note que le sénateur HAENEL est :
- Pour le maintien d’un statut national des personnels.
- Pour qu’il n’y ait pas de mise en concurrence avec d’autres exploitants.
- Que le sénateur proposera que les lignes soient laissées dans le domaine de la SNCF, la région administrative intervenant sur la nature et le volume des dessertes.
- Enfin, que le transfert des 4 milliards de francs versés alors à la SNCF vers les régions administratives soit dévolus exclusivement pour les contrats avec la SNCF, il y ajouterait la demande d’un fonds de péréquation national destiné à compenser les disparités régionales et un fonds d’investissement tripartite (État/régions/SNCF) pour le financement des infrastructures et du matériel roulant.
Le 11 avril 1995, une rencontre a lieu entre les organisations syndicales de la SNCF et le sénateur HAENEL pour la présentation de ses douze propositions.
L’environnement depuis 1994 s’est encore alourdi, de nombreuses craintes s’expriment sur l’avenir de la SNCF, le mécontentement des cheminots et des usagers grandit devant la dégradation du service public ferroviaire.
C’est bien dans ce lourd climat que doit s’appréhender l’évolution du contexte régional.
Lors de cette rencontre, la CGT rappelle ses propositions et remarques exprimées un an auparavant et exprime en conclusion, plus que des réserves sur les douze propositions tant que ne seront pas apportées des réponses essentielles concernant l’unicité du réseau, la mise en concurrence au plan régional, le statut des personnels.
Le sénateur HAENEL reconnaît que c’est bien le contrat de plan qui devra répondre à toutes ces questions capitales.
En ce printemps 1995, ce ne sont pas tant les propositions en elles-mêmes qui sont reçues fraîchement mais le contexte dans lequel elles interviennent ; le conflit de l’hiver 1995 aboutira à de nombreuses remises en question, la dissolution du printemps 1997 et le résultat des élections législatives ouvriront la perspective d’une politique des transports plus favorable au service public ferroviaire.
Lors de son 37e congrès, tenu à Lille en mars 1997, la Fédération CGT adopte son document d’orientation qui rappelle que « la région est un niveau pertinent pour le transport et la démocratie » ;
La CGT pointe quatre conditions pour réussir la régionalisation :
- Ne pas se couper des nécessaires cohérences de solidarité garanties par l’unicité du service public ferroviaire SNCF.
- Assurer un rôle de maillon dans une maîtrise publique des transports.
- La SNCF et son groupe doivent être le pivot de l’organisation de la réponse aux besoins.
- Un financement sans transfert de charges.
En février, puis en octobre 1999, la commission exécutive fédérale sera saisie du sujet de la régionalisation afin de « peaufiner encore notre appréciation… vis-à-vis de cette importante mutation de notre entreprise » ; l’instance fédérale notera que depuis le démarrage de l’expérimentation de la régionalisation la dotation financière attribuée par l’État aux six premières régions expérimentales est globalement supérieure de 40 % par rapport à ce qui était attribué à la SNCF ; l’offre a été développée, augmentant la fréquentation et les recettes, cela correspond aux demandes maintes fois exprimées par la CGT d’une politique de volume pour les TER ; la CGT souligne néanmoins que la commission européenne préconise toujours d’étendre la notion de contrat de service public, existant pour les transports urbains, aux TER et que des élus régionaux seraient tentés par des appels d’offres pour contraindre la SNCF à s’aligner sur les coûts du marché.
La CGT note que l’organisation du travail et celle de la production restent du domaine de la SNCF et que celle-ci doit devenir encore plus force de proposition et d’initiative et que pour cela des modifications doivent être apportées à ses organisations. La CGT pointe plusieurs expériences menées à ce moment-là comme les équipes de lignes en Alsace visant à des organisations transversales pour la production TER, dans le Nord-Pas-de-Calais où un référent TER est nommé dans les établissements exploitation afin d’y suivre l’activité et d’assurer les relations avec les autorités locales, ou encore que sur Lyon c’est une activité TER avec une indépendance certaine qui est à l’œuvre.
La CGT souligne que ces expériences ont apporté à des échelles différentes un nouveau rythme et des résultats certains.
La CGT réaffirme également que les régions ont vocation à s’intéresser au Fret ferroviaire.
Lors de ses Congrès, en mai 2000, puis en novembre 2003, la CGT soulignera la nouvelle dynamique du transport ferroviaire régional permise par la régionalisation ; elle y réaffirmera ses positions notamment pour la tarification (égalité de traitement, solidarité, péréquation en n’importe quel point du territoire), mais aussi la place que doit tenir le groupe SNCF dans l’intermodalité ou les enjeux du périurbain.
Enfin, lors de son Congrès en mars 2007, la CGT maintiendra sa position constante vis-à-vis de la régionalisation : exigeante, constructive, revendicative.
Pour la CGT, le triptyque gagnant étant :
- Une volonté politique des partenaires : État, régions, SNCF.
- Des moyens humains, matériels et financiers.
- Le service public par un exploitant unique, la SNCF.
Voilà brièvement résumé un engagement constant favorable à la régionalisation, porté par des exigences fortes pour le service public, l’intérêt des usagers et le statut des cheminots, garant du service public.
© C. Farnault